Article
L’éducation à la démocratie dans la société numérique
La numérisation a des répercussions non négligeables sur tous les aspects de la vie. La mise en réseau technique et la conversion de données analogiques en données numériques sont à l’origine d’énormes quantités de données. Il est possible d’identifier des régularités dans leur mise en rapport et leur traitement, et de générer des applications dont les conséquences sociales, éthiques, politiques, juridiques, professionnelles et économiques sont encore difficiles à évaluer1.
Les pronostics optimistes prévoient un renforcement de la sécurité et de l’efficacité, par exemple au moyen d’une gestion intelligente du trafic et des marchandises ou de diagnostics médicaux automatisés. La participation en ligne est censée favoriser et faciliter la participation démocratique, la mobilisation et les processus décisionnels. Les changements inhérents à la numérisation qui s’opèrent au niveau de la création, la diffusion et la mise en valeur du savoir, par exemple à travers des offres éducatives en accès libre telles que les CLOM ou les ressources éducatives libres pourraient démocratiser de façon durable les systèmes éducatifs et réduire les inégalités sur le plan de l’éducation. Les médias numériques et les applications virtuelles comme la réalité virtuelle rendraient possible l’instauration de nouveaux environnements d’enseignement et d’apprentissage. L’apprentissage individuel pourrait être optimisé par une évaluation automatisée des progrès scolaires – l’analyse de l’apprentissage (learning analytics) – et un accompagnement personnalisé. Enfin, la biométrie et les organismes cybernétiques permettraient d’accroître l’intelligence et les capacités humaines et de révolutionner au profit des hommes le monde du travail grâce à l’automatisation et l’intelligence artificielle2.
Les prévisions critiques, par contre, jugent que la numérisation menace les démocraties, de même que le système éducatif3. Ainsi, les grands volumes de données (« big data ») rendent possible un contrôle social comme il n’en a jamais existé auparavant, qui pourrait porter atteinte à la vie privée et déboucher sur un fascisme numérique. La fracture numérique pourrait exacerber les inégalités sociales et les inégalités sur le plan de l’éducation. Les bots sociaux et le microciblage numérique mettraient à mal la cohésion sociale avec de fausses nouvelles et des chambres d’écho, et manipuleraient la formation de l’opinion politique et le pluralisme en tant que fondements des sociétés démocratiques. Finalement, l’influence des nouveaux médias sur la socialisation entraînerait une « démence numérique » (Manfred Spitzer) et une sociopathie.
La numérisation, un défi politique
L’on ignore encore à l’heure actuelle quels développements sociétaux accompagneront la numérisation. Mais les premiers indices et exemples pour ces deux visions d’avenir sont d’ores et déjà perceptibles. Ces scénarios mettent cependant clairement en évidence que la numérisation soulève des questions politiques essentielles, dont il convient de discuter et qu’il faut aborder dans un discours sur la société civile. La façon dont la numérisation se développe et l’influence qu’elle a sur les différents aspects de la vie sont principalement déterminées par des décisions d’ordre politique et non pas technique.
Les problèmes marquants relèvent plutôt des interrogations intemporelles analogiques sur la société que de nouveaux questionnements technologiques d’ordre numérique. En font par exemple partie les questions du contrôle du pouvoir démocratique et de la protection des données dans le cadre de la concentration de données et donc de capitaux. Dans la mesure où il est possible de mesurer et de prédire les habitudes de consommation personnelles, l’état de santé, les comportements et les préférences au moyen du suivi numérique et d’algorithmes ou de mener des campagnes de désinformation et de diffamation grâce aux innovations techniques et à l’anonymat de l’Internet, les sociétés doivent renégocier leur compréhension des droits de la personne et de l’autodétermination numérique et en tirer des mesures de protection de la vie privée et de l’espace public démocratique moyennant la règlementation des différentes formes numériques. Si les algorithmes sont capables d’établir des profils de personnalité sur la base de vos préférences, vos points de vue et vos traits de caractère à partir de 300 mentions « J’aime » publiques sur Facebook avec plus d’exactitude que vos amis proches4, il faut déterminer dans quelle mesure ceux-ci peuvent être utilisés dans le cadre des assurances, des procédures de candidature ou des campagnes électorales en fonction de considérations éthiques, et examiner de quelle façon leur programmation pourrait être contrôlée de manière transparente pour le public afin de prévenir la discrimination et la manipulation5.
La numérisation, un défi pour l’éducation à la démocratie
À l’école et dans l’enseignement, la numérisation représente non seulement un défi technique ou un défi pour l’éducation aux médias, il s’agit surtout d’une problématique relevant de l’éducation à la démocratie qui a un impact sur les contenus, les méthodes et les objectifs de l’apprentissage et de l’enseignement dans toutes les matières. Un développement actif de l’éducation à la démocratie est nécessaire pour que ce ne soient pas les innovations techniques, voire les intérêts économiques, qui déterminent les concepts didactiques.
La nécessité et l’urgence d’examiner de façon pédagogique et stratégique les formes, les possibilités et les risques associés à la numérisation s’expliquent également par la réalité quotidienne des élèves, où le monde analogique et le monde numérique sont depuis longtemps devenus un espace d’expérience et d’action hybride. Selon leurs propres indications – comme le montrent des études récentes (v. Aperçu 1) – les enfants et les jeunes passent aujourd’hui en moyenne jusqu’à quatre heures par jour sur Internet.
Parmi les plateformes les plus populaires figurent YouTube, WhatsApp, Snapchat, Instagram et TikTok. Les portails vidéo servent de plus en plus de base pour se préparer pour des exposés et des examens. Les enfants et les jeunes recueillent les informations d’ordre politique presque exclusivement de leur flux d’actualités dans les médias sociaux. Le groupe WhatsApp réunissant les élèves de la classe ou le groupe de pairs est en même temps un repère social, un lieu où se forme l’identité et un espace pour le cyberharcèlement et doxing. Les jeunes se servent des médias sociaux et d’Internet pour trouver des personnes qui partagent les mêmes idées et – comme dans le cas du mouvement Fridays For Future – pour s’organiser sur le plan politique. Dans le même temps, ils ne sont pas à même d’identifier les fausses nouvelles et la propagande populiste en tant que telles.
Les enseignant(e)s doivent aborder les expériences ambivalentes que font les enfants et les jeunes dans le monde numérique et les intégrer dans les processus éducatifs afin de tenir compte de la réalité des élèves. Au-delà de la possibilité d’explorer l’usage et la création productive de contenus et d’environnements d’apprentissage numériques grâce à des offres appropriées dans l’enseignement et des groupes de travail bénévoles, la numérisation et ses implications sociales doivent être abordées dans le cours. L’enseignement général, qui touche l’ensemble des enfants et des jeunes au-delà des bulles de filtres ségrégatives et qui devrait favoriser l’autodétermination et la participation à la vie sociale, doit être un espace de protection et de réflexion pour appréhender de façon distanciée son environnement et la réalité sociale dans le développement de la relation à soi et au monde (numérique). Les mesures et les concepts éducatifs existants n’ont à ce jour été que partiellement adaptés à cette responsabilité complexe (voir Aperçu 2). Du point de vue de l’éducation à la démocratie, il serait désastreux de considérer « l’éducation numérique » de façon purement affirmative et fonctionnaliste comme un usage éclairé des médias numériques ou de la déléguer à une seule matière telle que l’« informatique » ou l’« éducation aux médias ». Au contraire, cette tâche éducative complexe consistant à développer des compétences démocratiques dans un contexte d’évolution des conditions sociales sous l’influence de la numérisation requiert des efforts de l’école et l’enseignement dans au moins quatre champs d’action (voir illustration p.7).
L’école en tant qu’espace de réflexion et d’action dans les sociétés en voie de numérisation
Dans le domaine du développement de l’enseignement, le corps enseignant doit tout d’abord examiner comment aborder les implications, les possibilités et les risques d’ordre éthique, sociétal et politique associés à la numérisation, et cela dans les différentes matières ou de façon interdisciplinaire dans l’enseignement et la formation des apprenant(e)s, afin de donner à leurs élèves les moyens nécessaires à leur participation à la société pour ce qui est des questions numériques. Afin de participer à la conception de la société numérique, les jeunes ont par exemple besoin de connaissances fondamentales sur le mode de fonctionnement des algorithmes et de l’intelligence artificielle et de connaissances sur les conséquences des grands volumes de données et du microciblage, ou ils doivent avoir la capacité d’examiner la qualité, l’origine et la validité des informations numériques. Pour aborder ces sujets et les ancrer dans le programme d’études, il n’est pas nécessaire de disposer d’équipements numériques coûteux ni d’instaurer de nouvelles matières. L’on peut parfaitement discuter des contenus de manière analogique et les intégrer systématiquement dans les matières existantes comme les mathématiques, la biologie, l’éthique, les disciplines linguistiques ou les sciences sociales. Ainsi, la capacité essentielle à formuler des critiques en ce qui concerne les sources utilisées dans la recherche historique requise pour un cours d’histoire ne favorise pas uniquement la compétence médiatique – qui peut également être transposée au monde numérique. Les propositions d’interprétation de l’histoire et les débats sur la culture historique sur Internet, qui ne sont pas sans poser problème et auxquels les élèves sont aussi confronté(e)s dans leur univers, rendent les discussions sur la culture historique numérique indispensables, même dans un cours d’histoire moderne. Il s’agit dès lors d’examiner pour chaque matière la mesure dans laquelle les sujets de la discipline en question ont déjà évolué sous l’influence numérique des sociétés modernes et de déterminer comment la matière en question peut contribuer à la promotion d’une maturité (numérique), à laquelle l’école est tenue au titre de sa fonction.
À côté de l’apprentissage sur les médias numériques, l’école doit également permettre un apprentissage avec les médias numériques, en créant des espaces d’action dans lesquels les élèves, en tant que consommateur(trice)s, concepteur(trice)s et producteur(trice)s, peuvent explorer le monde numérique et réfléchir à leurs expériences.
Du site Internet de l’école aux podcasts et forums en ligne, en passant par le lancement de pétitions en ligne et la programmation de simples algorithmes ou applications, les exercices axés sur la pratique dans l’enseignement et les groupes de travail peuvent guider les élèves et les inciter à développer leurs propres compétences numériques et à réclamer leurs possibilités de participation.
Le développement de l’enseignement et des infrastructures numériques face à la priorité accordée à la didactique
Si des environnements d’apprentissage numériques doivent également être instaurés dans l’enseignement, cette démarche requiert non seulement une stratégie d’investissement ciblée et adaptée aux besoins pour mettre en place des équipements techniques, des espaces d’apprentissage numériques et analogiques, ainsi que des solutions matérielles et logicielles, elle nécessite aussi des efforts collectifs entre collègues pour permettre la conception de tels environnements. Le recours à des supports didactiques numériques n’améliore pas automatiquement le processus d’apprentissage. En outre, l’effet de motivation tant attendu associé aux nouvelles technologies ou aux applications basées sur le jeu s’estompe rapidement. Il faut plutôt intégrer les médias numériques – à l’instar du matériel didactique analogique – de façon fonctionnelle aux cours afin que les objectifs, les méthodes et les contenus définis en bénéficient. L’analyse approfondie d’un seul support analogique est souvent préférable à la multimédialité distrayante du numérique, et un échange personnel vif entre les partenaires en classe est plus efficace que le recours à une application de feedback compliquée et sujette aux dysfonctionnements. Pour les écoles, investir dans des laboratoires d’apprentissage numériques techniques peut s’avérer moins coûteux et plus utile sur le plan pédagogique que d’équiper chaque classe de tableaux intelligents. Les offres d’apprentissage actuellement disponibles ne correspondent souvent pas encore aux normes méthodologiques. Par conséquent, il convient d’examiner les solutions matérielles et logicielles, de même que les modèles et le matériel d’enseignement numériques à l’aune de critères méthodologiques et pédagogiques6. Leur utilisation en cours n’est judicieuse que lorsque le potentiel spécifique offert par l’apprentissage numérique est exploité (voir illustration ci-dessous).
Ainsi, grâce aux médias numériques, l’apprentissage scolaire peut être organisé indépendamment du lieu – comme avec la classe inversée – de façon plus collaborative et plus participative, et surtout, de manière plus individuelle que jusqu’à présent. En plus d’ouvrir et de quitter virtuellement la salle de classe, les élèves peuvent également employer le temps d’apprentissage passé ensemble dans l’espace analogique de façon plus intense pour procéder à un échange personnel et recevoir des conseils individuels ou pour discuter des contenus didactiques. Dans le même temps, une utilisation numérique a des effets connexes pouvant remettre en cause les normes d’enseignement établies ou le nouveau média s’accompagne de risques qu’il convient de mettre en balance. Par exemple, il n’est pas rare que les tableaux intelligents placent l’enseignant( e) au centre du processus d’enseignement. La possibilité non seulement de personnaliser les processus d’apprentissage grâce à l’analyse automatisée de l’apprentissage, mais aussi de les contrôler dans une mesure qui semblait jusqu’à présent inimaginable soulève un grand nombre de questions d’ordre éthique.
Bien qu’il soit tentant d’observer le comportement de lecture des élèves au moyen de l’oculométrie et de leur offrir de l’aide et un feedback individuel figurant à l’endroit approprié dans le manuel scolaire numérique, les enseignant(e)s doivent s’interroger sur la protection des données et des droits de la personne à partir du moment où le prestataire externe peut recueillir des informations sur le quotient d’intelligence de l’élève qui lit ou calculer son risque de maladie sur la base de ses mouvements oculaires.
La numérisation en tant qu’objectif du développement scolaire
Afin d’assurer un développement de l’enseignement et des infrastructures axé sur des critères d’ordre pédagogique et didactique, les écoles doivent développer leur organisation et le personnel correspondant. La conception d’environnements d’apprentissage numériques complexes requiert une coopération entre collègues et une formation continue coordonnée. Afin d’ancrer de façon interdisciplinaire les sujets relatifs à l’avenir du numérique dans le programme d’études et d’investir de façon durable dans les équipements techniques, il faut des stratégies de numérisation cohérentes et des lignes directrices contraignantes, ainsi que des mesures transparentes pour la protection des données et l’assurance qualité. Il convient également d’examiner comment les structures administratives et participatives des établissements scolaires peuvent être améliorées grâce à l’assistance numérique et comment les élèves peuvent dans le même temps faire de nouvelles expériences relevant de l’éducation à la démocratie à l’aide des outils numériques. Enfin, pour soutenir les processus de développement complexes, il est également conseillé de se lancer dans des collaborations extrascolaires ancrées dans une approche conceptuelle, telles que les répertoires et les réseaux de REL afin de tirer parti des ressources et concepts numériques existants dans le cadre d’un échange international entre écoles.
La façon dont les écoles façonnent les différents champs d’action et la manière dont elles relèvent les défis didactiques (voir Aperçu 3) dépendent des conditions locales, des orientations pédagogiques de base et des besoins. Les conditions techniques à elles seules varient sensiblement d’une école à l’autre – par exemple, 86,9 % des écoles au Luxembourg, 37,4 % des écoles en France et seulement 26,2 % des écoles en Allemagne sont équipées d’un accès WLAN (voir ICILS 2018). La stratégie de numérisation respective doit donc être formulée de façon participative par les acteurs sur place afin qu’elle puisse produire un effet durable. Dans ce contexte, en raison des innovations qui accompagnent la numérisation dans tous les domaines de la vie, une volonté de flexibilité, de développement continu et d’autoréflexion institutionnelle en ce qui concerne les concepts et les pratiques d’enseignement est également nécessaire. Les salles de classe et les horaires d’enseignement traditionnels ne répondent souvent déjà plus aux exigences des modalités d’apprentissage numériques. Les offres d’éducation et les diplômes sont susceptibles de se différencier davantage et de faire l’objet d’une mise en réseau au niveau international.
Les formats d’examen existants devront également changer radicalement avec l’accumulation de connaissances et l’optimisation de l’intelligence humaine soutenue par la technologie. La créativité, un esprit novateur, un doigté pédagogique et un savoir-faire didactique sont des éléments indispensables dans ce contexte. Ils éviteront aux enseignant(e)s d’être submergé(e)s par la numérisation et les aideront à encourager les élèves à mener une vie autodéterminée et à participer activement à la société numérique.
Enfin et surtout, les écoles doivent également garder à l’esprit l’importance que revêtent leurs compétences « analogiques » spécifiques dans le cadre de leur propre stratégie de numérisation et veiller à les entretenir.
L’expérience esthétique vécue lors d’un concert scolaire après de longues semaines de répétitions, la découverte et l’expérience de soi dans une pièce de théâtre ou un jeu de simulation, la réflexion et la discussion communes sur l’enseignement, le travail dans le jardin de l’école, les multiples rencontres entre personnes, les conflits et les réussites atteintes ensemble, les expériences de la tolérance et des valeurs partagées, ainsi que la résilience face aux ambivalences et incertitudes d’une communauté scolaire vivante ne peuvent être représentés dans aucune application numérique, mais sont essentiels pour l’éducation des élèves.
Offres scolaires en matière d’éducation aux médias dans la Grande Région
(Karl Schulz)
Rhénanie-Palatinat :
https://frama.link/ukfMg9HH
Le Medienkomp@ss Rheinland-Pfalz offre des bases conceptuelles et éducatives ainsi qu’un « fil rouge » pour une éducation aux médias intégrée de façon systématique dans l’enseignement.
Sarre:
https://frama.link/4K-rcsok
La section dédiée à l’éducation aux médias sur le serveur de l’éducation de la Sarre offre des informations sur l’enseignement de la compétence médiatique et l’apprentissage avec et sur les médias. Il comporte des rapports sur les projets d’éducation aux médias ainsi que des informations sur les possibilités d’achat de matériel et de logiciels et les offres d’assistance dans ce contexte. En outre, cette section propose des supports et du matériel pour l’enseignement et l’éducation extrascolaire.
France – Lorraine:
https://frama.link/7pp5VXSY
Le serveur de l’éducation français Eduscol comporte une section dédiée à l’enseignement avec le numérique. L’offre comprend des informations sur la pratique pédagogique et des services d’assistance.
Belgique – Wallonie:
http://www.csem.be/outils
Le principal interlocuteur en Wallonie est le Conseil supérieur de l’éducation aux médias. L’offre en ligne comprend entre autres une vaste série d’outils à utiliser dans l’enseignement.
Luxembourg:
https://edumedia.lu/
L’éducation aux médias et l’enseignement avec le numérique constituent des priorités essentielles de la politique éducative au Luxembourg. Edumedia est en passe de devenir le guichet unique dans ce contexte. Vous y trouverez
entre autres un guide de référence pour l’éducation aux médias et par les médias de même que des offres de formation.
Regard sur la Grande Région : le numérique du point de vue des élèves
En termes de politique éducative, la promotion du numérique dans les écoles et l’enseignement revêt une importance essentielle. Mais comment les élèves perçoivent-ils/elles la situation actuelle dans leur vie quotidienne ? mateneen a mené une enquête exploratoire à l’Athénée royal de Nivelles en Wallonie, à laquelle 57 jeunes âgés de 13 à 15 ans ont participé au total.
Les outils d’apprentissage numériques font depuis longtemps partie du quotidien des élèves, tant à l’école que dans leur milieu social. Nombre des enseignant(e)s à l’Athénée royal de Nivelles utilisent des plateformes d’apprentissage et d’enseignement telles qu’iTunes U et Udditit ou des programmes et des applications comme YouTube, Notes, Ibook, Pages ou Kahoot. Les outils sont principalement utilisés à des fins de recherche, de documentation et de présentation. Dans le même temps, la majorité des élèves interrogé(e)s donnent une appréciation positive à leurs enseignant(e)s. Ils/elles perçoivent les avantages des applications numériques et trouvent qu’elles rendent l’apprentissage plus autonome et plus intéressant.
Pas moins de 13 % des élèves craignent cependant que l’utilisation de tablettes en classe contribue à les distraire et qu’elle ne facilite pas réellement l’apprentissage. Certains élèves soupçonnent même les enseignant(e)s d’essayer de les « appâter » en mettant l’accent sur le recours aux technologies modernes. 11 % des élèves rejettent complètement les médias numériques dans l’enseignement.
Il convient cependant de noter que les élèves ont constaté des lacunes concernant l’éducation à la démocratie dans l’enseignement au quotidien. L’apprentissage avec les médias numériques semble rarement s’accompagner d’un apprentissage sur les médias numériques et d’une évolution vers le numérique. Enfin, seule une minorité des élèves perçoivent les médias numériques comme un moyen de favoriser leur propre participation à la société. S’il est vrai que 37 % des élèves interrogé(e)s utilisent Internet pour exprimer leurs opinions et participer à des processus décisionnels, cet engagement reste limité à la vie privée et ne trouve pas d’écho dans le contexte scolaire. Selon les déclarations des élèves, ces dernier(e)s ne sont guère encouragé(e)s à utiliser les médias numériques en classe et à l’école pour contribuer à façonner la vie scolaire ou pour exprimer leurs intérêts et leurs points de vue.
Dans l’ensemble, les élèves sont très sensibles aux possibilités qu’offrent les médias numériques dans l’enseignement et à leurs limites. Ils/Elles apprécient l’engagement et les efforts de leurs enseignant(e)s, mais ils/elles voient également les défis didactiques liés à un recours fonctionnel aux médias. En tant qu’expert(e)s de leur milieu de vie, ils/elles perçoivent le caractère ambivalent du recours au numérique dans les écoles et l’enseignement de manière plus différenciée que beaucoup de ceux qui vantent de façon démesurée les nouvelles technologies.
1 Pour une classification sociologique de la numérisation, v. Armin Nassehi (2019) : Muster. Theorie der digitalen Gesellschaft. Munich : C.H. Beck.
2 Concernant le système éducatif, v. par exemple Jörg Dräger, Ralph Müller-Eiselt (2015) : Die digitale Bildungsrevolution. Der radikale Wandel des Lernens und wie wir ihn gestalten können. Munich : DVA.
3 Voir entre autres James Bridle (2019) : New Dark Age. Der Sieg der Technologie und das Ende der Zukunft. Munich : C.H. Beck ; Ben Williamson (2017) : Big Data in Education. The digital future of learning, policy and practice. Londres : Sage.
4 Voir Wu Vouyou, Michal Kosinski, David Stillwell (2015) : Computer-based personality judgments are more accurate than those made by humans. Dans : PNAS, 4/2015, vol. 112, pp. 1036-1040.
5 Le Groupe Européen d’Éthique a fait une première proposition de principes démocratiques dans ce contexte en 2018 dans sa « Déclaration sur l’intelligence artificielle, la robotique et les systèmes ‘autonomes’ ». URL : https://ec.europa. eu/research/ege/pdf/ege_ai_statement_2018_fr.pdf
6 V. Klaus Zierer (2020) : Lernen 4.0: Pädagogik vor Technik – Möglichkeiten und Grenzen einer Digitalisierung im
Bildungsbereich. 3e éd. Verlag Schneider: Hohengehren.
Prof. Dr. Matthias Busch
est professeur de didactique des sciences sociales. Ses intérêts d’enseignement et de recherche comprennent l’éducation à la démocratie, l’éducation européenne et l’histoire de l’éducation à la citoyenneté.
Auteur(s)
Prof. Dr. Matthias Busch (2020)
Titre:
L’éducation à la démocratie dans la société numérique
Publié dans:
04 / 2020 - L’éducation à la démocratie dans la société numérique, S. 5-13.