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Possibilités et opportunités d’une organisation démocratique du système scolaire luxembourgeois

« Aujourd’hui, le socialisme et la démocratie ne sont plus de simples questions réservées aux partis politiques, ce sont des questions vitales. L’école et les enseignants devront s’en saisir (…) et donner au peuple de demain, par un enseignement solide, mais surtout par une éducation formatrice, les moyens de remplir sa mission principale : régner ensemble. » – Ein luxemburger Schulfreund, 1920

Cette citation est tirée d’un article paru en 1920 dans le Luxemburger Schulfreund. Intitulé « Mission de l’école primaire dans la réorganisation de la société », il décrit cette mission à une époque où la possibilité de la participation politique de la population générale existe depuis tout juste un an grâce à l’introduction du droit de vote universel.1

Près d’un siècle plus tard, il est toujours d’actualité de penser que l’école, en tant qu’institution, doit jouer un rôle central, d’une part, dans l’appui à un système démocratique, et, d’autre part, dans la formation des enfants et des jeunes à prendre des décisions éclairées pour eux-mêmes et pour les autres ainsi qu’à participer à la vie publique. L’autre idée de l’auteur – sur la manière dont l’école devra accomplir cette tâche – est elle aussi encore pertinente. Il accorde ainsi la même importance à l’enseignement qu’à l’organisation démocratique de l’école. Ces deux principes s’appliquent toujours en 2018, bien que le cours d’instruction civique de l’époque s’appelle aujourd’hui – dans la plupart des régimes scolaires – éducation à la citoyenneté et que les méthodes aient évolué.

Organisation démocratique de l’école – comment ça marche ?

Les différentes approches permettant de soutenir un développement scolaire démocratique ont été décrites dans l’article précédent. Dans ce cadre, l’interaction entre les cours de matière spécialisées (éducation à la citoyenneté, vie et société et autres sciences sociales) et la culture scolaire et de l’enseignement est impor tante. Les premiers aident les enfants et les adolescents à catégoriser les structures, les processus et les conflits politiques et à y réfléchir, la seconde leur donne la possibilité de faire l’expérience et de mettre en pratique les normes, les valeurs et les méthodes démocratiques. La responsabilité est donc portée par les enseignant(e)s de toutes les matières, mais aussi par tous les partenaires de l’école : les parents, les élèves, la direction et tout le personnel. L’organisation démocratique de l’école est, en quelque sorte, res publica et le chemin qui y mène doit être parcouru ensemble.

Quels sont les éléments déjà présents… et ceux qui manquent ?

Si l’on observe le paysage scolaire luxembourgeois, on constate que nombreux éléments sont déjà présents. Dans les écoles fondamentales en particulier, on trouve ici et là des conseils de coopération et des délégué(e)s de classe, des parlements des enfants ou de l’école. On y trouve également une culture de l’enseignement qui donne aux enfants la responsabilité de leur apprentissage (les exercices peuvent être choisis) et organise la vie de classe en commun (les règles de la classe sont établies ensemble, chaque enfant a des missions qui sont réalisées à tour de rôle, etc.).

Dans l’enseignement secondaire, on attache principalement de l’importance aux outils institutionnels de participation des élèves. Les comités des élèves et les délégué(e)s de classe, prévus par la législation luxembourgeoise, font partie de tous les établissements d’enseignement secondaire. Deux membres du comité des élèves représentent les jeunes au conseil d’éducation. Citons également la conférence nationale des élèves (CNEL), qui a régulièrement réussi à se faire entendre par la sphère politique au cours des dernières années. Pourtant, la possibilité de participer aux conseils de classe pour les élèves à partir des classes de 4e, prévue par la loi, n’est pratiquement jamais utilisée. Souvent, la participation des élèves se heurte aussi à de simples problèmes pratiques. Ainsi, les membres du comité des élèves ne disposent que rarement d’une pièce qu’ils peuvent utiliser sous leur propre responsabilité. En outre, le droit de codécision le plus important est accordé aux jeunes sur des sujets non contraignants, par exemple l’organisation de l’espace ou les activités extrascolaires (fêtes, cours de cuisine, événements caritatifs, etc.).

Concernant l’enseignement, une étude exploratoire par entretiens réalisée auprès d’enseignant(e)s luxembourgeois(es) en 2018 a constaté un intérêt pour la prise en compte des sujets d’actualité et des intérêts des élèves et pour une ouverture de l’école par le biais de coopérations extrascolaires.2 Cependant, les possibilités de participation à l’organisation de l’enseignement (contenus, méthodes) ou même de l’évaluation sont plutôt rares. Les programmes et les grilles d’évaluation, perçus comme très contraignants, font obstacle à une réelle participation des élèves.

Il semble pourtant y avoir une volonté d’accorder aux jeunes davantage de droits de participation. Les personnes interrogées aimeraient surtout qu’il y ait une culture du feed-back plus forte et un échange régulier entre tous les partenaires de l’école où les délégué(e)s de classe pourraient jouer un rôle important.

Le nouveau cadre légal, porteur d’opportunités

La loi du 29 août 2017 portant sur l’enseignement secondaire prévoit que chaque école élabore un plan de développement scolaire (PDS). Elle indique sept domaines qui peuvent être pris en compte dans les plans. Le septième est le plus intéressant pour l’organisation démocratique de l’école : les activités extrascolaires et la participation des élèves. Dans ce domaine, le Service Jeunesse du Ministère de l’Éducation propose aux écoles un soutien concret sous forme d’accompagnement en groupes pilotes et de personnel supplémentaire.

Réalisé en janvier 2018, le bilan sur le travail avec les jeunes dans les écoles luxembourgeoises fournit des informations intéressantes sur le quotidien des écoles. Ses conclusions ont été intégrées au cadre de référence d’octobre 2018.

„Eng Schoul, déi sech këmmert“

L’idée centrale du cadre de référence est la « whole school approach ». Le lien entre le climat scolaire et les performances des élèves est considéré comme établi. Plus les jeunes se sentent bien dans leur école, plus le risque de décrochage est faible.3 L’organisation démocratique de l’école, en tant que partie intégrante d’un concept global, offre la possibilité aux jeunes de faire l’expérience de l’efficacité personnelle et de découvrir qu’ils sont les membres égaux d’une communauté. Les écoles qui s’efforcent d’instaurer un climat scolaire démocratique évitent les situations critiques, où les conflits ou agressions nécessitent l’intervention de tiers : médiateurs, éducateurs/trices spécialisé(e)s, police, etc.

L’exemple du conseil de coopération (Klasserot)

Dans le cadre d’une étude basée sur l’exemple du conseil de coopération dans une école secondaire luxembourgeoise, Carina Otto a étudié l’impact de la participation scolaire. Les résultats montrent que les élèves considèrent le conseil de coopération comme un outil efficace et créateur de sens pour les négociations démocratiques et que, dans le même temps, ces expériences à bas seuil augmentent la volonté, la confiance et le besoin de participer aux décisions au-delà de la classe.4

Autres outils

Outre le conseil de coopération, un renforcement de la représentation des élèves et une plus grande ouverture aux coopérations extrascolaires sont des moyens d’organiser l’école de manière plus démocratique. L’analyse de potentiel présentée dans le premier numéro de la série mateneen est un bon point de départ pour lancer le processus. Le Zentrum fir politesch Bildung propose un soutien et un accompagnement pour lancer et mettre en oeuvre l’analyse ainsi que dans les trois domaines qui viennent d’être évoqués. La volonté des adultes d’accorder de véritables droits de participation aux enfants et adolescents en est la condition préalable.

Pour une véritable participation – une vraie responsabilité, dès le début

Le dernier rapport national sur la situation de la jeunesse (2015) a encore une fois confirmé que les jeunes participent uniquement lorsqu’il y a une réelle possibilité de changement. Les participations « alibis » sont rapidement démasquées et par conséquent refusées. Pour que les jeunes apprennent à se considérer comme co-acteurs de leur communauté et à participer, il faut leur faire confiance et leur accorder de véritables responsabilités. Ce principe s’applique aux processus d’apprentissage comme à l’organisation conjointe de l’école.

Quelques écoles ont indiqué lors du bilan sur le travail avec les jeunes que le chemin pour y parvenir est perçu comme long. Elles ont constaté que les formes de participation dont disposent actuellement les jeunes ne sont pas nécessairement utilisées. Il est certainement vrai que les jeunes ne s’engagent pas du jour au lendemain, en particulier s’ils n’étaient jusqu’alors pas habitués à exprimer leur opinion ou s’ils n’avaient pas d’expérience de la participation (mais il en va de même pour les adultes). En effet, il est important de renforcer les droits de participation des enfants dès l’école fondamentale afin qu’ils se considèrent, dès le plus jeune âge, comme des citoyen(ne)s.

Les outils pour une organisation démocratique de l’école, réclamée depuis déjà un siècle, existent. Le cadre légal aussi. Il revient désormais aux écoles de saisir cette opportunité pour modifier durablement le paysage éducatif luxembourgeois.

 


1 Anonyme, Aufgabe der Volksschule bei der Neugestaltung der Gesellschaft, Luxemburger Schulfreund, 1920, 49e année, no 3.

2 Benedikt Schroeder (2018) : Schulische politische Bildung in Luxemburg. Eine explorative Studie zur Entwicklung des Unterrichtsfaches Éducation à la citoyenneté. Trèves. (Mémoire de master non publié)

3 À ce sujet, voir l’étude sur les NEETS (Not in employement, Education or Training). Étude sur le lien entre décrochage scolaire et statut de NEET (2017) http://www.men.public.lu/fr/actualites/publications/politique-jeunesse/statistiques-analyses/170613-NEET-decrochage/index.html

4 Carina Otto (2018) : Der demokratiepädagogische Klassenrat aus Sicht der Schülerinnen und Schüler. Eine empirische Studie zur Situation in Luxemburg. Trèves. (mémoire de master non publié)


Plus d’informations

Le Service de la Jeunesse du Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeuness (MENJE) est centre de ressources.

Kontakt: periscolairemenlu

Le Zentrum fir politesch Bildung, dont l’une des missions est d’accompagner des structures et des participatives dans les écoles.

Kontakt: michele.schiltzpblu

 


Aperçu des principaux documents sur la participation

Fondement légal

Le développement scolaire et la représentation des élèves sont définis par la loi.

Le développement scolaire

L’article 3ter sur le plan de développement scolaire décrit les domaines dans lesquels il doit se dérouler :

„Art. 3ter.- La démarche des lycées : Les lycées assurent une démarche commune et cohérente, documentée dans le PDS, qui répond aux spécificités locales de la population scolaire dans les domaines suivants :

  1. l’organisation de l’appui scolaire (…);
  2. l’encadrement des enfants ou jeunes à besoins éducatifs spécifiques ;
  3. l’assistance psychologique et sociale des élèves (…);
  4. l’orientation des élèves (…);
  5. la coopération avec les parents d’élèves ;
  6. l’intégration des technologies de l’information et de communication ;
  7. l’offre périscolaire.“
Les délégué(e)s de classe

Les missions et les droits des délégu(e)s de classe sont définis dans les articles 19 et 20 :

„Art. 19. La classe (…)

Au début de l’année scolaire, les élèves de chaque classe élisent deux délégués de classe qui les représentent auprès des enseignants, du régent de classe et du directeur du lycée. Les délégués sont les porte-parole des élèves de la classe. Ils assurent la liaison avec le comité des élèves.

Art. 20. Le conseil de classe

(…) Les délégués de classe de la division supérieure de l’enseignement secondaire et des cycles moyen et supérieur de l’enseignement secondaire technique (…) peuvent être consultés par le conseil de classe à leur demande ou à l’initiative du conseil de classe pour ce qui est de la délibération sur les progrès des élèves, sur l’attitude au travail et la discipline des élèves.“

Le comité des élèves

L’article 34 renforce la représentation des élèves en ancrant dans la loi la mise à disposition d’un lieu et d’une personne accompagnante pour chaque comité des élèves.

„Art. 34. b) Le directeur met à la disposition du comité des élèves une salle pour ses réunions et le matériel nécessaire à l’information des élèves du lycée. Il désigne un accompagnateur du comité des élèves choisi parmi le personnel du lycée.“

La conférence nationale des élèves

L’article 34bis redéfinit les missions de la conférence nationale des élèves (CNEL) et met à sa disposition les ressources nécessaires ainsi qu’une aide administrative. Le renforcement de la représentation nationale des élèves renforce aussi les différents comités des élèves.

„ Art.34bis: La conférence nationale des élèves. Afin d’assurer que la conférence nationale puisse travailler de façon autonome et indépendante, le ministre met à sa disposition, dans la limite des crédits budgétaires, les ressources nécessaires à son fonctionnement ainsi qu’un secrétaire administratif.“

Source : « Loi modifiée du 25 juin 2004 portant organisation des lycées » legilux.public.lu/eli/etat/leg/code/education_nationale

PDS – écoles secondaires : www.men.public.lu/catalogue-publications/themes-transversaux/developpement-scolaire/pds-es/fr.pdf

PDS – écoles fondamentales : www.men.public.lu/fr/actualites/publications/themes-transversaux/developpement-scolaire/pds-ef/index.html

Bilan de la participation dans les écoles secondaires

MENJE, Jugendarbeit an Luxemburger Schulen: Eine Bestandsaufnahme im Rahmen der démarche périscolaire et participative (2018). Voir : www.men.public.lu/catalogue-publications/politique-jeunesse/info-generales-offre/180726-jugendarbeit/de.pdf

Cadre de référence commun pour la participation des jeunes dans les écoles secondaires

Cadre de référence commun pour l’accompagnement psycho-social et l’offre périscolaire dans les lycées. Octobre 2018. Voir : www.men.public.lu/catalogue-publications/politique-jeunesse/info-generales-offre/181004-cadre-lycees/fr.pdf





Michèle Schilt

Directrice adjointe du Zentrum fir politesch Bildung
Michèle Schilt est professeur d’histoire dans l’enseignement secondaire. Elle travaille depuis 10 ans dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté au Luxembourg.

Auteur(s)

Michèle Schilt (2018)

Titre:

Possibilités et opportunités d’une organisation démocratique du système scolaire luxembourgeois

Publié dans:

01 / 2018 - Vers une école démocratique, S. 9-12.

Mots-clés:
Citation:
Michèle Schilt (2018) : Possibilités et opportunités d’une organisation démocratique du système scolaire luxembourgeois, dans: mateneen 01 / 2018 - Vers une école démocratique , p. 9-12. Disponible sur: https://doi.org/10.25353/ubtr-mafr-95c7-3d74